Les dosages d’IgG anti-aliments ne devraient plus être prescrits en routine. Leur utilisation devrait être réservée à des fins de recherche, dans l’état actuel des connaissances médicales.
Mise en garde contre l’utilisation inappropriée des IgG anti-aliments
Effectués avec ou sans prescription médicale, en allant directement au laboratoire ou en passant par internet, les dosages d’IgG anti-aliments sont utilisés pour établir des régimes alimentaires d’éviction sensés améliorer diverses maladies. En France, quelques laboratoires de biologie médicale réalisent des dosages d’IgG anti-aliments qui ne sont pas remboursés par l’Assurance Maladie. Les tarifs de ces dosages fixés librement par les laboratoires, varient de 30€ à 500€ selon le nombre d’aliments testés.
Certains biologistes tentent de convaincre, à tort, les cliniciens de l’intérêt de ces tests pour diagnostiquer des « intolérances alimentaires à IgG ». Un médecin biologiste parisien a été sanctionné en 2013 par la Chambre Disciplinaire Nationale de l’Ordre des Médecins à une interdiction d’exercice d’un mois pour publicité mensongère.
Les dosages d’IgG anti-aliments ne sont pas fiables
Ces dosages sont commercialisés en France sans autorisation de l’ANSM et ne sont pas soumis au contrôle national de qualité. Il n’y a pas d’information précise sur les composants de l’aliment qui réagissent avec les IgG. Aujourd’hui, il n’est plus possible de se contenter d’un résultat global vis-à-vis d’un aliment si on ne sait pas quel composant moléculaire de l’aliment est reconnu. La signification du résultat diffère selon le composant reconnu. L’utilisation d’aliments natifs et de préparations culinaires (couscous, polenta…) ne permet pas de garantir la parfaite reproductibilité de ces dosages.
Signification clinique de la détection d’IgG anti-aliments
Certains auteurs ont observé chez des groupes de patients sélectionnés, la présence plus fréquente d’IgG contre des aliments (blé, lait, œuf, légumineuses…) comparés aux témoins sains. L’éviction de ces aliments a permis dans certains cas, d’améliorer significativement les symptômes pendant la durée de l’étude. Ces études encore parcellaires, effectuées sur de faibles effectifs de patients, comportent plusieurs biais méthodologiques qui rendent leurs résultats critiquables.
Les IgG anti-aliments ne sont pas des tests d’exploration de la perméabilité intestinale
Aussi bien à l’état physiologique (transport actif) qu’en cas d’altération de la barrière intestinale, des fragments d’aliments incomplètement digérés, voire des protéines entières, peuvent traverser la barrière et déclencher la production d’IgG anti-aliments. Une augmentation transitoire de la perméabilité intestinale peut survenir dans des situations banales comme une diarrhée infectieuse, la prise de médicaments (AINS), la consommation de certains aliments (alcool) ou conservateurs alimentaires (salicylates).
Pour rechercher un trouble de la perméabilité intestinale des tests spécifiques existent (test au lactitol/manitol, test au xylose).
La présence d’IgG anti-aliments est un phénomène normal
Dès la petite enfance, les IgG4 anti-aliments sont produites en grande quantité lors de l’acquisition de tolérance chez le sujet sain. L’apparition de ces IgG4 témoigne aussi de la guérison de l’allergie alimentaire chez l’allergique. Les IgG anti-aliments peuvent être détectées en raison d’une réaction croisée entre un aliment et un allergène respiratoire. Tous les individus produisent des IgG contre les allergènes respiratoires comme le pollen bouleau ou les acariens, lesquelles peuvent réagir avec des protéines semblables présentes respectivement dans les fruits et légumes ou les crustacés et mollusques. La production d’IgG contre certains sucres présents sur les allergènes chez l’allergique, et contre des sucres présents sur la paroi des bactéries ou des levures saprophytes chez tous les individus, peut être responsable de la reconnaissance non spécifique d’aliments riches en glycoprotéines (radis, arachide, champignons, algues…). Ces réactions croisées peuvent être responsables de résultats d’IgG anti-aliments faussement positifs.
Pour toutes ces raisons, la présence d’IgG anti-aliments est un phénomène normal, présent chez la majorité des sujets sains et chez les allergiques (25 % de la population française).
Les dosages d’IgG anti-aliments ne sont pas des tests d’allergie de type III
Les industriels qui les commercialisent et les laboratoires qui les pratiquent prétendent que les IgG anti-aliments sont responsables de réactions inflammatoires locales (intestin) ou à distance (articulations, peau…) pour y créer des lésions (arthralgies, migraine, eczéma…).
Plusieurs travaux ont au contraire montré qu’il s’agit d’IgG4 qui ont des propriétés anti-inflammatoires car ils n’activent pas le système du complément. L’allégation d’allergie de type III est un raccourci qui ne repose pas sur des arguments scientifiques. Il n’existe d’ailleurs pas de modèle expérimental (modèle animal) reproduisant ces maladies avec des IgG anti-aliments.
Les dosages d’IgG anti-aliments ne permettent pas de diagnostiquer une intolérance au gluten
La sensibilité au gluten (ou au blé) non cœliaque est une forme d’intolérance au gluten (ou au blé) où les marqueurs de la maladie cœliaque (IgA anti-transglutaminase) sont absents. Il n’y a pas d’atrophie des villosités intestinales sur la biopsie duodénale. Les patients sont améliorés par un régime sans gluten (sans blé). Les IgG anti-gliadine peuvent être présents isolément sans valeur diagnostique car on en trouve autant chez les sujets sains. Il n’y a aucune recommandation pour doser les IgG anti-aliments pour établir le diagnostic.
Pourquoi y a-t-il des améliorations sous régime alimentaire basé sur les IgG anti-aliments ?
Certains patients souffrent d’intolérance aux FODMAPs (Fermentescibles Oligosaccharides, Disaccharides, Monosaccharides And Polyols) présents dans des aliments d’origine végétale/animale. Il peut s’agir d’intolérance liée à un déficit enzymatique acquis tel le déficit en lactase (assez fréquent) ou autres disaccharidases (rares). Il peut aussi s’agir d’une prolifération anormale d’une flore bactérienne fermentative dans l’intestin grêle. Des tests biologiques spécifiques et validés existent pour établir le diagnostic (test à l’hydrogène pour l’intolérance au lactose, au glucose, au fructose, au glucose…). Chez d’autres patients, l’amélioration observée est liée à l’élimination d’une alimentation trop riche en histamine, tyramine ou aliments histaminolibérateurs. Des conseils d’éviction basés sur une simple analyse du régime par une diététicienne est généralement suffisant pour arriver au même résultat, sans recourir à des dosages d’IgG anti-aliments onéreux.
Le danger des tests IgG anti-aliments
Se contenter de doser les IgG anti-aliments, risque d’une part de retarder le diagnostic d’une autre pathologie sérieuse, pour laquelle il existe une prise en charge thérapeutique efficace. Il peut s’agir de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, maladies prolifératives, infection parasitaire, etc. D’autres pathologies relativement banales comme l’allergie alimentaire, le déficit en IgA, la maladie de Gilbert ou une infection à Helicobacter pylori, etc. peuvent expliquer les symptômes digestifs, cutanés, ORL, ou généraux (fatigue) de ces patients. Or, le plus souvent ces patients qui ont effectué le test à leur propre initiative n’ont pas bénéficié d’un bilan biologique adapté, prescrit par un médecin après un interrogatoire approfondi et un examen clinique.
D’autre part, un régime prolongé d’éviction de plusieurs aliments peut entraîner des carences surtout chez l’enfant (vitamines, acides aminés essentiels) pouvant aboutir à des troubles de la santé ou des troubles de comportement alimentaire (néophobies alimentaires et autre).
Les recommandations internationales déconseillent les dosages d’IgG anti-aliments
Les sociétés savantes d’immunologie et d’allergologie de France et de plusieurs pays d’Europe, l’Académie Européenne d’Allergologie et d’Immunologie Clinique, l’Académie Américaine de l’Asthme, d’Allergie et d’Immunologie, la Société Sud-Africaine d’Allergologie et la Société Australienne d’Immunologie et d’Allergologie ont reconnu les dosages d’IgG anti-aliments comme des tests inutiles pour le diagnostic d’allergie ou d’intolérance aux aliments.
Conclusion
Les dosages d’IgG anti-aliments ne devraient plus être prescrits en routine. Leur utilisation devrait être réservée à des fins de recherche, dans l’état actuel des connaissances médicales.
Dr Habib Chabane, Allergologue, Paris, président du Club d’Immuno-Allergologie Biologique
Texte approuvé par le Pr Christophe Cellier, CHEG Pompidou – Paris